L’ENVERS DU DOSSARD #2 : LE GRAND RAID DU VENTOUX BY UTMB
Un dossard, c’est plus qu’un bout de papier. C’est un fragment de vie. On s’attache souvent au numéro de devant, mais on oublie parfois ce qu’il y a derrière : une préparation méticuleuse, des heures de travail dans l’ombre, une ambition, des doutes, du stress, une stratégie, des hauts, des bas, des aléas, un fight, de la joie, de la déception, des endorphines, des courbatures...
Cet article a donc vocation à raconter l’envers du décor, l’envers du dossard, sur mon premier objectif de la saison : le format 100 K du Grand Raid du Ventoux by UTMB.
La rentrée des classes. C’est ainsi que j’abordais ce premier temps-fort de la saison. Comme un point de passage important plutôt qu’un objectif prioritaire. Comme l’opportunité de valider un hiver studieux, serein, passé sur les skis, à Combloux, en montagne. Comme l’occasion également de poser la première brique d’un édifice de long terme : le chapitre de la confirmation, après celui de la révélation. On me parle beaucoup de ce podium à l’UTMB, mais c’est maintenant derrière moi : je l’ai fait – cette 2ème place à Chamonix est un socle qui valide le bienfondé de ma démarche – mais désormais, je veux construire dessus et regarder devant.
Je me présente donc à Malaucène quelque part entre l’excitation d’éprouver le nouveau moteur développé ces derniers mois et l’appréhension de ne pas concrétiser en compétition ce que j’arrive à déployer au quotidien. Savoir délivrer le Jour J. En effet, ne pas devenir un champion de l’entraînement, est, de mon point de vue, l’une des principales singularités et difficultés du trail – eu égard du faible nombre d’épreuves par an. C’est certainement, aussi, l’une des explications de la maturité tardive des athlètes dans notre discipline : il est complexe de se forger une expérience quand tu compétitionnes pour de vrai, non pas tous les week-ends, mais seulement 3 fois par an.
”Il s’agit là d’ambitions plus que d’objectifs. Je préfère. Car les ambitions acceptent la nuance et la manière, quand les objectifs souffrent de rigidité et s’attachent au pur résultat."
L’AMBITION : LA QUALIF’ UTMB 2026 (ET UN PEU PLUS...)
À l’aube de la course, je me sais en forme. J’ai passé un cap physiologique cet hiver, des indicateurs objectifs en témoigne. Néanmoins, ce n’est pas mon format et le parcours très cassant, typique du Sud, ne me convient pas. Simon Gosselin, mon coach, m’a toujours soutenu que le traileur ressemble à son terrain d’entraînement. Je préfère donc les raides ascensions alpines aux escarpés parcours provençaux. En croisant ces deux informations – l’une qui tend à élever mon ambition, et l’autre à la tempérer – je me mets en tête deux ambitions à cocher :
Décrocher une qualification pour l’UTMB 2026
Délivrer une prestation intelligente et conquérante, en s’appliquant sur les 2 éléments qui jusqu’à présent me font véritablement défaut : la nutrition & la performance.
Il s’agit là d’ambitions plus que d’objectifs. Je préfère. Car les ambitions acceptent la nuance et la manière, quand les objectifs souffrent de rigidité et s’attachent au pur résultat. Je veux me laisser la possibilité de peindre en gris, plutôt que de limiter ma palette de couleurs au noir ou au blanc.
L’ÉVÈNEMENT & LE PARCOURS : « À JAMAIS LES PREMIERS ! »
Lors de la conférence de presse d’avant-course – un exercice nouveau pour moi – j’ai eu la bonne surprise d’apprendre que le Grand Raid Ventoux était une épreuve historique, presque trentenaire. Une association de pompiers ultra-chaleureuse, motivée et passionnée a repris l’organisation comme un flambeau il y a quelques années, jusqu’à intégrer le circuit UTMB World Series en 2025. Les copines et les copains qui ont crapahuté avec moi, on peut donc l’affirmer fièrement : « à jamais les premiers ». Participer à l’édition inaugurale d’une épreuve a toujours une saveur particulière. On a l’impression d’en être, au bon endroit, au bon moment, là où s’enracine les valeurs ancestrales du trail. C’est grisant.
”Sur le papier, le parcours n’a rien pour me convenir.”
Côté parcours, 89 km et 4600 D+ au programme. La trace GPS annoncera moins. De mon point de vue, ce delta est dû aux indénombrables soubresauts de 3 ou 4 m de dénivelé positif que la montre ne peut cerner mais qui s’accumulent sans crier gare, t’empêchent de prendre ton rythme de croisière et t’obligent à relancer, inlassablement. Sur le papier, rien pour me convenir donc – j’ai bossé tout l’hiver l’endurance de force sur de longues ascensions, skis aux pieds – si ce n’est cette montée au Mont Ventoux, depuis sa base, soit près de 1600 m de D+ à avaler d’une bouchée. C’est copieux, gourmand, mais alléchant.
MA COURSE : PATIENT PUIS CONQUÉRANT
Le plan initial ébauché avec Greg, mon manager, et Simon, mon coach, était simple, limpide, en phase avec les deux mots-clés évoqués plus haut : « intelligent et conquérant ». Greg me les rappelle lors de sa causerie, une heure avant la course. Un moment que j’adore. Lui aussi, je crois. Héritage des vestiaires de foot : tu connais. On se parle peu, on se parle vrai. Lorsque je pars à l’échauffement, le stress qui se matérialise chez moi sous la forme d’une boule dans le ventre a disparu. Je suis aligné avec ma stratégie : courir comme s’il s’agissait d’un contre-la-montre, non pas contre mais avec mes concurrents, unis contre le parcours. On va résoudre ensemble un problème mathématique, en se focalisant le moins tôt possible sur le résultat.
Cela se traduit par un premier tiers d’épreuve patient, sur un terrain cassant et tout en relances qui ne m’avantage pas ; puis jouer ma carte à fond dans la longue ascension du Mont Ventoux, à partir du km 40. Je me suis même fixé un objectif intermédiaire cohérent avec l’héritage cycliste qui empreint ce territoire : prendre le maillot blanc à pois rouges et réaliser le meilleur temps dans cette montée. Je récite une jolie partition puisque le scénario se rapproche fortement de la tactique griffonnée. Je lâche Thibaut Garrivier et Bart Przedwojewski, mes camarades du groupe de chasse, et bouche rapidement les 2 minutes qui me séparent du leader, Ben Dhiman. Au vue de la rapidité avec laquelle j’ai comblé le trou, je suis confiant sur ma capacité à le lâcher au train.
C’était sans compter sur la détermination et la ténacité du bonhomme : un lâche-rien comme j’en ai rarement vu – voire jamais côtoyé. Il prend ma roue et s’accroche. Plusieurs fois, je crois prendre l’avantage, mais il revient, comme un refrain. Au 2ème ravitaillement assisté, au deux tiers de la montée, j’essaye de lui mettre la pression via un passage aux stands clinique et express : j’espère qu’en l’empêchant de s’alimenter convenablement, il va craquer. Mais Ben est toujours là, Ben sera toujours là. Je switche. J’ajuste ma tactique. On s’entend bien. Avant la course, j’aimais ce que dégageait l’Homme ; pendant, j’apprends à découvrir et kiffer l’athlète qu’il est. Sans véritablement échanger sur le sujet, j’ai la sensation qu’un contrat tacite s’instaure entre nous : s’embrigader l’un l’autre pour aller réaliser le meilleur chrono possible – sous les 8h de temps annoncées par l’organisation – avant de s’expliquer correctement dans le final. Un ultime empoignement que l’on sait tous deux inévitable. Ici, le match nul n’existe pas. On va aux prolongations, et ça termine même aux tirs au but si besoin. Il n’y aura qu’un seul vainqueur.
Conscient de ma qualité – l’endurance de force – et de ma faiblesse – l’explosivité – j’impose mon train pendant près de 3h30. Dès que Ben tente de prendre un relais, je repasse devant. Je ne veux pas lui laisser le temps de souffler. Et puis, il vaut mieux ouvrir le chemin pour voir où tu mets les pieds sur ces sentiers techniques. Juste avant le dernier ravitaillement, au km 74, Ben me teste. Sur une portion plate, il envoie un kilomètre à 3’15 – 3’20. Je sers les dents. Je prends un coup au moral. Il n’est pas si éreinté que cela. Ou alors il s’est refait la cerise.
” Derrière c’est loin, tu peux te permettre d’exploser. Donc dès que tu le sens, t’en mets une énorme avec tout ce qu’il te reste pour ne rien regretter.”
À nouveau une assistance express (1 min d’arrêt total sur l’ensemble de la course) et les mots de Greg : « Derrière c’est loin, tu peux te permettre d’exploser. Donc dès que tu le sens, t’en mets une énorme avec tout ce qu’il te reste pour ne rien regretter. » Je ressors un peu trop bouillant du ravito et 200 m plus loin, dans un petit talus, je m’exécute. J’appuie. Une attaque de puncheur. Puncheur que je ne suis pas. Je prends quelques mètres d’avance. Ça y est, enfin : Ben va craquer ! Mais la joie est de courte durée : je plafonne, il revient, et contre-attaque instantanément. Je m’accroche tant que possible. Passer 25 min au-dessus du SV2 après 6h30 de course est donc possible, mais très désagréable. Je souffre beaucoup physiquement, mais je sais ma course déjà réussie, ce qui permet au mental d’adoucir la peine. Finalement, au gré des virages dans ces singles joueurs, Ben sort de mon champ de vision. J’explose totalement. Dans l’ultime ascension, je titube, m’extrais tant bien que mal des abominables crètes et rejoins l’arrivée à mon rythme d’ultra-traileur. J’ai perdu plus de 8 min en 7 km, Je suis deuxième, pourtant je me laisse envahir par une immense joie.
LE BILAN : LES POINTS VALIDÉS ET CEUX À AMÉLIORER
Finir deuxième, à nouveau, pourrait enraciner une certaine frustration : il n’en est rien. J’ai joué, j’ai perdu, mais contre plus fort que moi. Ce qui m’immunise des regrets. M’être incliné face à Ben ne me fait pas ressentir comme le premier des perdants, mais comme le deuxième des gagnants. Au fond de moi, je sais que l’on a couru grand. Et cette conviction – subjective certes – me suffit.
Voici donc les points validés... :
L’état de forme et le cap passé cet hiver, avec un nouveau moteur qui me permet d’être compétitif au plus haut-niveau sur des formats plus courts
La tactique de course : respecter le plan établi, réciter sa partition puis l’adapter au besoin
La nutrition : une énergie linéaire et aucun trouble digestif, ce qui ne m’était pas arrivé en course depuis plus d’un an.
Sur cet aspect, nous sommes partis, avec mon nutritionniste, Jocelyn Guillot, sur un plan conservateur : « seulement » 70 gr de glucides par heure, en s’appuyant essentiellement sur la nouvelle gamme Boost de Näak. Ces gels et cette boisson énergétique quasi-neutres sont, de mon point de vue, absolument géniaux. Confortable au niveau de l’estomac, j’ai même agrémenté le plan initial de purées préparées par Alexandre Brasset, un ami, chef restaurateur à Combloux.
Voici les recettes de saison développées pour l’occasion :
Purée de patate douce, carottes, oignons et bouillon de volaille.
Purée de petits pois écossés à la main et bouillon de volaille.
Soupe de fraises
Le partage : cette course était l’occasion d’organiser un week-end en famille, avec tous mes proches – un peu comme un anniversaire, mais à la mauvaise date. Je ressentais une petite pression liée à l’envie de ne pas les décevoir. J’ai réussi à m’en dépatouiller et à simplement accueillir leur présence et leurs encouragements comme une force. Une force tranquille. Une note chaude et puissante. Leurs pancartes, drôles, référencées, m’ont régalé et offert l’espace de quelques secondes une bulle de douceur pendant l’effort. Ils sont exceptionnels, j’ai énormément de chance de les avoir.
... et les points à améliorer :
Bosser encore et toujours : je n’avais pas le niveau physiologique pour suivre Ben dans les derniers kilomètres. Notamment sur cette faculté à changer de rythme, du tempo vers le seuil, en fin de course.
Écouter plus mon instinct : est-ce que je n’aurais pas dû tenter quelque chose, dans cette longue descente du Ventoux, quand j’ai senti l’ouverture ?
L’avant-course : comme à la Maxi-Race l’an dernier, je suis resté bloqué sur l’objectif de résultat jusqu’à J-1, avant de me débloquer grâce à des échanges avec mes proches. Ce mauvais focus génère un stress dont je me débarrasserais bien.
LA SUITE : LA COUPURE POUR RECOMPENSER & SURCOMPENSER
La récupération est souvent plus facile après un objectif réussi, car plus apaisée. On ne doit pas contenir cette nervosité qui nous incite, par déception, à reprendre plus vite que prévu. En ce sens, la performance créé un cercle vertueux : on prend le temps de se reposer, on assimile, on arrive frais sur le nouveau bloc d’entraînement et donc mieux armé pour performer à nouveau.
La suite s’écrit donc ainsi : quelques jours de repos total, paisibles, entre moments chill et épanouissement via mon double projet professionnel ; puis reprise du vélo à l’envie (l’opportunité de rouler sans frustration, juste pour le kiff, avec des personnes qui ont un rythme inférieur au mien) avant de se projeter à J+15 sur les véritables objectifs de l’année. Deux semaines de coupure donc, pour récompenser et surcompenser un bel hiver de besogne.
Durant cette parenthèse de quiétude, j’en profiterai pour annoncer le 4ème partenaire dont j’aurais l’honneur de porter les couleurs cette saison. J’ai fait le choix, tôt dans ma carrière, d’être le plus exclusif possible dans mes collaborations, pour rester focalisé sur l’endroit où l’on m’attend – la performance – et m’offrir l’opportunité de mener des aventures qui font véritablement sens. J’avais 3 partenaires avant l’UTMB (Nike, Combloux et Näak) ; j’en aurais 4 cette saison (On, Combloux, Näak et ce dernier acteur dont je suis extrêmement fier d’incarner la dynamique et les valeurs). Pour les plus observateurs, un petit indice s’est d’ailleurs glissé dans les photos de cette joute au Ventoux.
Un immense merci pour ton soutien. Et bravo d’être allé au bout de ce compte-rendu de course long comme un ultra-trail.