La Barkley, c'est un ultra-trail en pleine forêt dans le parc naturel de Frozen Head, Tennessee. Comme un chat noir dans le monde du trail, c'est une course dont on parle, mais à laquelle on ne participe pas. Et pour cause : ce marathon d’orientation en autonomie dans la forêt impose un règlement et une ambiance peu communes. D’ailleurs, depuis la première édition, on ne compte que 15 finishers à cette course sans répit et aux obstacles presque inhumains. Une promenade tranquille en forêt, quoi.
La Barkley en chiffres, c'est :
Pour bien comprendre l’origine de cette dinguerie, revenons un peu en arrière. En 1977, un prisonnier s’échappe du Brushy Mountain State Penitentiary, le pénitencier d'État du Missouri. Il s’agit de James Earl Ray, l’assassin de Martin Luther King. Sa traque dure près de 55 heures, essentiellement dans la forêt. Mis en difficulté par la végétation dense, le froid et le brouillard, James Earl Ray est rattrapé après avoir parcouru un peu moins de 10 miles (+/- 12 km). Quelques années plus tard, Gary Cantrell, poussé par l’orgueil, parie qu’il aurait couru au moins 100 miles dans ce laps de temps, avant d’aller voir les lieux de ses propres yeux pour comprendre la piètre performance du fugitif. Tu devines la suite, Cantrell découvre une forêt impraticable, et, comme un bon passionné de course à pied, y organise un trail. Gary Cantrell n’est autre que Lazarus Lake (“Laz”), le fondateur aussi charismatique qu’énigmatique -quoiqu'un peu fou- de la Barkley, course nommée après son partenaire d’entraînement.
Comment on participe à la Barkley ? Les conditions d’inscription
Nous sommes d’accord pour dire que la Barkley est une course atypique. Mais tu n’as encore rien vu. Le chemin classique pour s’inscrire à un trail ne fonctionne pas pour la Barkley. Inutile de chercher la course sur Miles (pour le moment…). Tu devras :
Trouver l'adresse de Laz ;
Le contacter en personne ;
Lui écrire un petit mail avec une lettre de motivation expliquant pourquoi tu as tout ce qu’il faut pour participer ;
L’envoyer un jour précis (que TU dois trouver), sinon, c’est la trappe.
Le challenge commence bien avant la course ! Un petit conseil, rapproche-toi d'anciens concurrents et demande-leur les infos. S’ils sont fair-play, tu as tes chances.
Passé ces premières étapes, si ta candidature est retenue, Laz t'envoie un mail de condoléances pour “ce moment très désagréable que tu t'apprêtes à vivre”.
Pense à prévoir :
Les frais d'inscription : 1,60 $, un centime par miles parcouru ;
Un petit cadeau choisi par Laz pour lui-même et qui change tous les ans ;
Si c’est ta première participation : apporte une plaque d’immatriculation de ton pays d’origine.
Après ça, la course peut commencer.
Si ce chemin te semble trop complexe, tu peux toujours tenter l’autre option. En bon prince, Laz offre la possibilité de participer à la Barkley au vainqueur de son autre course de 50 km, la [Barkley Fall Classique](https://lazaruslake.com/races/barkley-fall-classic/), avec des règles un peu plus classiques. À toi de jouer.
Un parcours hors normes
La Barkley est donc un 100-miles à réaliser en cinq boucles (+/- 32 km par boucles). Le parcours change chaque année et les concurrents peuvent finalement se retrouver à courir 130 miles (210 km). Car oui, petit détail, cette promenade de santé s'apparente plus à une course d’orientation. Le GPS étant interdit, tu t’orientes via ta propre carte. La veille du départ, Laz met à disposition des concurrents une seule et unique carte, sur laquelle il a tracé le parcours. Libre à toi de recopier le tracer sur ta carte, c’est même plutôt conseillé. Le parcours n’est ni balisé ni préparé. Les concurrents s’élancent donc à l’assaut des ronces, des feuilles mortes et de la boue. Les plus rapides tutoient les 5 km/h, pas plus. Par la barrière horaire, la course impose des heures d’effort en continu, avec peu de possibilité de repos (deux nuits blanches en perspective). Aucun ravitaillement sur le parcours, sauf deux fontaines par boucle. La seule possibilité de se restaurer est au camp de base, à côté des lignes d’arrivée et de départ. Au fil des kilomètres, les concurrents font face à des obstacles plus ou moins franchissables. Sur la Barkley, prépare-toi à passer du chemin entretenu par les équipes du parc à un itinéraire de branches basses, racines et dénivelés vertigineux. Regarde le film de la course pour en savoir plus. Si tu es toujours là, sache que le circuit exige un passage dans un tunnel semi-inondé, sous l’ancienne prison. Je ne te parle même pas des livres à récupérer dans la forêt ni des changements du sens des boucles.
D'accord, vu ainsi, la Barkley ressemble à un joyeux bazar. Heureusement, le règlement de la course est là pour encadrer le tout :
Pas d’heure de départ.
La course peut commencer à tout moment, entre minuit et midi. Les concurrents sont prévenus une heure avant le départ, à grand coup de conque sonné par Lazarus. Le départ est ensuite donné une fois qu’il allume sa cigarette.
Chaque boucle est à réaliser en 12 heures.
Tu as donc 24 heures pour faire les deux premiers tours, 36 h pour les trois premiers et ainsi de suite. Une minute en trop ? Dommage ! Éliminé.
Petit twist dans le règlement, les boucles sont à réaliser dans les deux sens. La première dans le sens horaire, la seconde dans l’autre etc. Pour la cinquième boucle, c’est toi qui choisit ton sens préféré. C’est cadeau.
Durant toute la course, seules une carte et à une boussole sont autorisées pour s’orienter. Aucun GPS ni puce de localisation. Alors comment savoir si les concurrents sont bien passés au bon endroit ? Grâce à la règle suivante :
Sur chaque tour, 13 livres sont cachés à des points stratégiques indiqués sur la carte. Pour valider un tour, les concurrents doivent trouver chacun des 13 livres et en arracher la page qui correspond à leur numéro de dossard. À la fin de la boucle, Laz vérifie ton nombre de pages, te donne un nouveau numéro de dossard et c’est reparti pour un tour dans l’autre sens.
Chaque tour terminé est validé si le coureur respecte la contrainte horaire, qu’il donne le bon nombre de pages et qu’il touche la barrière jaune symbolique.
Pour résumer, tu es éliminé si :
tu dépasses une barrière horaire. En 2017, l’Américain Gary Robbins a bouclé les cinq tours en 60 heures, 0 minutes et six secondes. Six secondes qui l’ont éliminé ;
Il te manque une page de livre ;
Tu arrives du mauvais côté de la barrière ;
Ton quatrième tour est bouclé en même temps qu’un concurrent et vous partez ensemble ; il faut que vous partiez chacun dans un sens ;
Tu te perds ;
On te retrouve en ville parler à une poubelle, à l’image de ce qu’à vécu Karel Sabbe en 2022 après 40 heures de course ;
Depuis 1995 et le premier finisher, sur les 800 ultra-traileurs à s’être lancé sur la Barkley, moins de 2 % ont passé la ligne d’arrivée. Ils ne sont que 15 à avoir réussi les cinq tours en moins de 60 heures. Cependant, je pense que tu as toutes tes chances.
Comparons la Barkley à des éléments plus concrets.
Sur les cinq tours, s’ils vont au bout, les concurrents auront grimpé 18 000 m de D+. À peu de chose près, ça fait plus de deux fois le mont Everest. Sur l’UTMB, on s’approche des 10 000 m de D+. Côté distance, la Barkley s’étend de 160 à 210 km, à faire en 60 heures maximum. Pour comparer, le Marathon des Sables s’étend sur 250 km, mais en six jours soit 144 heures.
Il faut attendre neuf ans après la première édition pour voir le premier finisher. Mark Williams en vient à bout en 59 h 28 min 48 s, établissant par là même le record de l’épreuve. Depuis, il y a beaucoup d’appelés, mais très peu d’élus. La limite de participants est fixée à 40 chaque année et moins d’un 1 % parvient au bout dans le temps imparti. En 2023, ils sont trois à venir à bout de la course : Karel Sabbe en 59 h 53 min 33 s ; John Kelly en 58 h 42 min 23 s ; le Français Aurélien Sanchez remporte l’édition en 58 h 23 min 12 s.
Et à quel prix ? Le trophée finisher de la Barkley n’est autre qu’un mug en étain fixé sur un socle en bois. C’est un trophée collectif où de petites plaques de métal indiquent le nom et le temps des finishers de toutes les éditions. Laz le garde précieusement et l’apporte au camp lors de chaque Barkley. Bien sûr, on ne fait pas cette course pour la gloire…
Parmi les trails les plus durs au monde, la Barkley est sans doute la plus injouable. S'inscrire est un défi, y participer un exploit en soi et la terminer relève du miracle. Mais en trail comme en course à pied, les miracles existent. Sinon, tu peux te rabattre sur les trails pas loin de chez toi, à retrouver sur Miles !
Élisa Louet
Rédactrice sport.
Passionnée de course à pied, triathlon et van life.