L’ENVERS DU DOSSARD #3 : LES CHAMPIONNATS DE FRANCE DE TRAIL
Un dossard, c’est plus qu’un bout de papier. C’est un fragment de vie. On s’attache souvent au numéro de devant, mais on oublie parfois ce qu’il y a derrière : une préparation méticuleuse, une ambition, des doutes, une stratégie, des aléas, du fight, des émotions, des endorphines, des courbatures...
Dans cet article, je vous emmène à Val d’Isère, en immersion dans mes Championnats de France de Trail Long, terminés à la 3ème place. Je vous raconte l’envers du décor – l’envers du dossard – de mon premier objectif majeur de la saison.
LE CONTEXTE : MON PREMIER OBJECTIF MAJEUR DE LA SAISON
Les Championnats de France sont, pour moi, un évènement à part. Une fête populaire doublée d’une compétition de haut-niveau. Depuis mes débuts, en 2018, je n’ai manqué qu’une seule édition – l’année passée – afin de pouvoir me focaliser sur l’UTMB. J’avais donc à cœur d’y revenir en 2025, d’autant plus que cette saison, cette course est annoncée support de qualification pour les Championnats du Monde de Trail, qui ont lieu tous les deux ans.
Notre sport est en construction. Les échéances fédérales – pour une multitude de raisons – peinent à se faire une place dans le calendrier international. Mais, de mon point de vue, représenter son pays et ses valeurs n’a pas de prix. La tunique bleu-blanc-rouge m’attire : ce n’est pas un tissu, c’est un aimant. Ainsi, dès l’automne 2024, j’ai décidé de faire de ces Championnats mon premier objectif majeur de la saison 2025.
L’AMBITION : LE « PASS MONTAGNE » & LA SÉLECTION POUR LES MONDIAUX
À l’aube de cette compétition, mon ambition est double.
Tout d’abord, une ambition de manière : je souhaite me prouver que j’ai passé un cap en montagne. J’ai grandi à la ville : je n’évolue pas depuis l’enfance sur des terrains techniques et engagés. En revanche, ces dernières années, et encore plus intensément ces derniers mois, j’ai travaillé – spécifiquement – pour élargir ma zone de confort. J’ai fait de la préparation de ces Championnat une opportunité pour devenir un coureur plus complet, plus polyvalent. Ce samedi, je veux donc valider cette progression et décrocher mon « pass montagne ». Participer à cette course, c’est un peu comme passer mon probatoire de guide. Pour cela, mes sensations seront mon indicateur de réussite : j’aurais gagné si je me sens à ma place sur ce parcours radical ; si je prends du plaisir ; si je ressens une harmonie entre ces montagnes – plus hostiles que celles de la maison – et mes émotions, positives.
La seconde ambition est plus factuelle. Il s’agit d’un objectif de résultat : décrocher une deuxième sélection pour les Mondiaux, après celle de 2023. Pour cela, il me faut figurer le plus haut possible dans le classement final. L’enjeu est grand. Il me stresse. Pour parer à la pression, j’essaye de positionner l’obtention du maillot bleu comme la conséquence et non comme la condition de l’acquisition de mon « pass montagne ». Je tâche de me convaincre que si mon objectif de « manière » est validé, la réussite de mon objectif de « résultat » en découlera presque naturellement.
L’ÉVÈNEMENT & LE PARCOURS : L’UN DES TRAILS LES PLUS DURS DE FRANCE
Le High Trail Vanoise, course support de ces Championnats de France, occupe depuis plusieurs années une place de choix au sein de notre petite communauté. Rendu iconique par la rudesse et la beauté de son parcours, sa réputation le précède : il est considéré comme l’une des épreuves les plus exigeantes du calendrier hexagonal. Sa technicité, ses pentes raides, son esthétisme et surtout son altitude font sa singularité autant que sa difficulté. Pour ma part, je suis autant attiré qu’intimidé par l’itinéraire.
"Le ratio de 72 km et 5000 m de D+ me plait : j’aime les longues montées en endurance force."
La technicité me sort de ma zone de confort habituelle, mais j’ai œuvré pour l’élargir. Le ratio de 72 km et 5000 m de D+ me plait : j’aime les longues montées en endurance force. L’altitude moyenne de 2500 m – avec un point bas à 1800 m et un sommet culminant à 3400 m – elle, en revanche, me questionne : je ne sais pas comment mon corps va réagir là-haut, avec le manque d’oxygène. Serais-je compétitif ?
Préparer ces France s’avance ainsi comme l’opportunité de réaliser mon premier véritable stage en altitude. Je viens donc en repérage du 14 juin au 1er juillet, avec un très bon ami, à Val d’Isère, pour m’acclimater. J’ai bon espoir que s’entraîner sur le parcours aide mon corps à s’adapter, que le terrain – unique – façonne mes jambes. Bref, que ces montagnes me laissent une empreinte que j’exploiterais le jour J. Sur le papier, ce stage en altitude de 16 jours induit un véritable effort pour le casanier que je suis ; mais finalement, je le vis comme une parenthèse enchantée. En petit comité, on s’inscrit rapidement dans une routine ascète & esthète. Entraînement – boulot – dodo. De l’extérieur, cela peut paraître monotone, mais de l’intérieur, j’embrasse la sobriété de ce quotidien comme quelque chose de régénérant.
”Je n’ai pas la confiance de celui qui va y arriver ; mais j’ai la confiance de celui qui a bien travaillé.”
L’avant-course est délicat. J’ai rarement été aussi stressé à l’heure d’épingler un dossard. J’ai peur. Je suis angoissé par la rudesse du parcours et tourmenté par l’enjeu. J’évoque mes doutes auprès de mes proches : ils me rassurent, me remobilisent et me rappellent la chance, simple, de courir un championnat et parcourir la montagne. La veille, je retrouve un semblant de sérénité : je n’ai pas la confiance de celui qui va y arriver ; mais j’ai la confiance de celui qui a bien travaillé.
Le début de course – avec une boucle inaugurale raide et sauvage, puis une première ascension de l’Iseran – se déroule sans accroc. Le rythme me semble confortable. Je reste au chaud, caché, fermant le groupe de tête. Après 3h de course, et près de la moitié du dénivelé positif avalée, je pointe en quatrième position, à une grosse minute des deux leaders. Je suis là où j’espérais l’être, en gestion. Malheureusement, rapidement, je comprends que le deuxième tiers de course sera beaucoup moins linéaire. La descente technique qui suit me secoue. J’arrive sur le plateau roulant où il faut allonger la foulée pendant près de 10 km, à plus de 2600 m d’altitude, ballonné. J’explique ces maux de ventre par le stress et le froid. Je préfère donc jouer la sécurité et décide d’arrêter de m’alimenter, le temps de laisser passer l’orage. En conséquence, j’adapte mon pacing à mes ressources : j’essaye de trouver la bonne allure entre continuer à avancer et lever suffisamment le pied pour retarder ma rencontre avec l’hypoglycémie. Antoine Thiriat, alors troisième, s’échappe. Un groupe de poursuivants composé de Mathieu Delpeuch, Loïc Rolland et Robin Juillaguet me rattrape. Je me mets dans les roues à l’instant d’attaquer la descente joueuse jusqu’à Bonneval, au km 46, et arrive en 7ème position au ravitaillement.
”Je gère mon effort. J’ai décidé d’appréhender cette course comme un ultra-trail. La stratégie est claire : ne jamais se mettre dans le rouge, mais évoluer dans la zone orange. ”
Je suis entamé, j’ai tapé dans les réserves mais je demeure déterminé : satisfait de la manière dont j’ai traversé la zone de turbulences ; conscient qu’une partie à ma convenance se profile. En effet, j’adore les longues montées qui mettent à l’épreuve les qualités d’endurance de force. On va être servi ! Pas loin de 1600 m de dénivelé positif, entre 1800 m et 3400 m d’altitude, nous attendent. Je gère mon effort. J’ai décidé d’appréhender cette course comme un ultra-trail. La stratégie est claire : ne jamais se mettre dans le rouge, mais évoluer dans la zone orange, car je crains que la haute-altitude et la technicité du terrain n’empêchent de revenir ceux qui auront franchi la frontière de l’acceptable. Bref, je me dessine des Championnats de France monochromes, avec des nuances de orange. Je rattrape Antoine et Mathieu et grimpe sur le podium avant l’Aiguille Pers, le point culminant, agréablement surpris par l’impact relatif du passage au-dessus de 3000 m sur mon organisme.
À partir de là, je ne me retournerai plus, grisé par le constat que je double des coureurs-funambules, réputés pour leur habilité en montagne, sur la partie sommitale du parcours, celle a priori la plus engagée et la moins favorable pour moi. Je vois le petit gars que j’étais – le Petit Monchu – m’encourager sur le bord des sentiers. Il est en train de rédiger mon « pass montagne ». Quelques crampes surviennent mais je reste super focus, rien n’est fait. Une foulée après l’autre. Concentré jusqu’à la ligne. Mettre la balle au fond. À partir de là, je m’interdis de me retourner : je regarde devant. Avoir couru dans la zone orange me permet de relancer fort dans la descente finale sur Val d’Isère. J’ai encore des watts. Je comprends que le podium devient réalité en m’extirpant du dernier single joueur, à seulement quelques hectomètres de la ligne. Je suis alors traversé par une joie peu commune. Certainement l’une des arrivées les plus émouvantes qu’il m’ait été donnée de vivre. Je dépose un baiser sur mon avant-bras droit : un signe de gratitude envers ce corps qui me permet d’expérimenter un tel bonheur. J’ai mon « pass montagne » et ma sélection en équipe de France.
LE BILAN : MIEUX GÉRER L’AVANT-COURSE, SE DÉLESTER DU SYNDROME DU MONCHU
Je tire plusieurs apprentissages de cette course :
Tout d’abord, je me déleste de mon syndrome de l’imposteur. Avant, j’avais peur en montagne et j’étais nul dans le technique. Désormais, je laisse cette vérité dans le passé. Je demeure très humble et vigilant vis-à-vis de la montagne mais je me sais maintenant capable de prendre du plaisir et performer sur des formats de 5 à plus de 20h, peu importe le degré de pente, d’une SaintéLyon à un High Trail Vanoise. Je me rapproche petit à petit du coureur complet que je souhaite devenir. J’ai obtenu mon « pass montagne » et le range précieusement dans mon baluchon.
Avec mon staff, nous avions ébauché une stratégie en amont de la course : ne jamais se montrer, rester patient, dessiner son chemin avec des nuances de orange... J’ai maintenu le cap, même lorsque j’ai traversé des eaux troubles, même lorsque le navire a tangué. Je ne me suis pas affolé. Je me suis fait confiance. Je me suis géré pour ne pas exploser et ça a fonctionné ! La capacité d’adaptation est l’une des clés pour performer en trail mais s’en tenir au plan, si on a la conviction que c’est le bon, également.
Je suis fier de ma capacité à délivrer le jour J malgré les tumultes de l’avant-course. En revanche, je vais tenter de décrypter le « pourquoi » je suis arrivé sur la ligne de départ sans la sérénité qui m’anime habituellement. J’ai certainement commis quelques petites erreurs dans l’approche de la compétition – notamment lié à l’équilibre de mon double projet, entre le taf et le trail. Ceci m’a coûté un peu de fatigue mentale. J’espère pouvoir transformer ces erreurs en apprentissages, puis en vecteurs de progression.
LA SUITE : UN ÉTÉ DIFFÉRENT DES AUTRES, SANS PIC DE FORME FIN AOÛT
Des vacances avec mes proches ! C’était l’une des carottes principales de Championnats de France réussis : se griffonner un été différent des six précédents, sans obligation de créer un pic de forme fin août, pour l’une des épreuves de l’UTMB. S’octroyer une pause avec Chamonix pour y revenir avec plus de fraîcheur tout bientôt.
Au programme donc, de façon très concrète :
Du repos complet, sans sport, jusqu’à J+6 des France
Une reprise progressive de J+6 à J+14 avec des sessions « au plaisir » (idéalement une ou deux sorties longues à vélo, et quelques footings trail de 2h30 maximum)
Puis à J+15, entamer doucement mais sereinement la préparation spécifique pour les Mondiaux, le 27 septembre prochain (83 km / 5400 D+).
La perspective de cette deuxième partie de saison suscite une joie simple et une énergie pure. Le challenge est maintenant de cultiver ces deux carburants essentiels le plus longtemps possible, afin d’enfiler le maillot tricolore gorgé de force, de fraîcheur et de sérénité.
J’espère que ce format détaillé aura suscité votre curiosité plutôt que votre lassitude ! Vive le trail et vive la lecture ! Merci pour votre soutien.